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Les scénarios de cinéma sont toujours écrit en police Courier, en mémoire de la fameuse machine à écrire utilisée à leur origine.
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Cette nouvelle a été initialement écrite pour un concours organisé par l’Éditeur/imprimeur européen BoD et le magazine Femmes Actuelles.
SCÈNE D’UN SCÉNARIO À VALENCE
Séquence au point accueil et bar du Festival Valence-Scénario.
Il fait chaud.
Maya commence.
- Ça fait deux ou trois ans qu’on ne s’est pas vues ? Je trouve que le temps passe terriblement vite. Est-ce l’âge qui fait ça ? Toi tu vieillis bien.
- Merci ! On n’a pas que l’âge de nos artères, heureusement. C’est l’état de notre âme qui importe le plus.
- Qu’est-ce que tu appelles l’âme, notre vie intérieure ?
Ingrid :
- Le support de ce qu’on pense, de ce qu’on croit, de ce qu’on espère.
- Et finalement hier tu as pu voir le film du Navire ?
- C’était bien ! Bien parce que le réalisateur s’est donné la liberté de ne pas y mettre la moindre scène de jambes en l’air. Pour ça, chapeau ! La transgression dans ce sens, j'ai trouvé que c'était, courageux.
Et toi ? - A l’opposé. Un vague documentaire à la solde des codes du moment. Du vendu d’avance. Dommage, le sujet était bon.
- Est-ce que tu lis encore toi ?
- Ça dépend de ce que tu entends par lire.
Maya :
- Pendant les confinements j’ai voulu lire, tu sais de ces livres qu’on s‘met sous le coude pour éventuelles longues soirées d’hiver (sourire complice).
Aussi quelques-uns trouvés dans ces niches ou cabanes de rue où chacun dépose et prend ce qu'il veut. C'est sympa… si ce n'est toujours hygiénique. Bref, ce qui m’a surtout sidérée, fut de découvrir combien de nanas remplissent leurs pages, voire des chapitres, de scènes qui les auraient classées dans le porno rien que du temps de ma mère !
Tu vois, comme un méga-hiatus avec le féminisme qu’elles veulent incarner. - La liberté de faire égal avec les mecs !
- Est-ce que tu vois l’aberration ! Je ne sais pas si elles vendent, mais mon sentiment c’est bien qu’elles se vendent ! Par leur corps nu écrit, décrit, s’exposant à tous les regards et tous les fantasmes. Mince ! J'ai fini par en avoir honte ! Si c’est ça la liberté d’être femme !
- Trop d’un coup.
- C'esrt vrai que j'en ai ingurgité pas mal ; mais en même temps c’était terriblement significatif ; révélateur du problème qui là, vient sans se méprendre du côté nana. J'ai fini par lire à saute-mouton puis j’ai laissé tomber.
Je m’en suis sentie sale, presque nue moi-même, imprégnée, oui un sentiment malsain d'imprégnation, où tu es touchée malgré toi. - Des scènes de leur intimité : elles s’exorcisent.
- Ah je n'sais pas si elles s’exorcisent, mais j’ai trouvé cette proportion et cette liberté de dire choquantes !
Pourtant je ne suis pas la puritaine de service ! Mais quoi, ça n’apporte plus rien ! Pour te dire, jusqu’à rêver des scènes horribles la nuit, presque comme si c’était réel, où tu es abusée, sexuellement violentée, et tout en moi qui ne voulait pas. Breuuuh ! Rien que d’y penser.
(Elle prend un chewing-gum)
C’est bon pour les gencives…
D’ailleurs j’t’avoue en arriver à un point où tout ça me dégoûte. Franchement, tu vois, l’amour, cet amour-là, j’en veux plus ! Et malheureusement dans la foulée – je trouve dramatique de dire cela, mais je ne crois même plus en aucun amour. Tout est trop faussé. J'ai l'impression qu'on a franchi une barre de non-retour. De non-amour.
Ingrid :
- On a laissé la sexualité devenir un concurrent, si ce n’est un ennemi de l’amour. Dans quoi il peut y avoir une grande perte de soi. Alors que cela devrait être un enrichissement, un fleuron de nos relations.
On nous a appris à se donner, à se partager comme une denrée bonne, savoureuse, mais sans valeur. Sans respect de soi, de sa conscience. Sans amour en fait. - C'est ça ; de l’amour comme du placébo, du vieux-gras - comme je l'appelle -, contre l'amour qui ne nous vient plus au cœur ; ou qu'on ne voit plus durer.
- Le concept de « bout de chemin ». Comme on ferait une ligne téléphonique en nouant des morceaux de fil les uns aux autres.
Et comme on ne réfléchit pas, ou pas encore assez, ça marche, au profit des profiteurs, de prédateurs. - Producteurs, chanteurs et j’en passe. Des politiques, des toubibs.
- Les figures d’autorité.
- Jusqu’à décider de ta carrière et de ta vie en introduisant dans la donne cet élément ignoble. J’en ai la nausée.
- On a bien joué le jeu aussi. Chacun et chacune y a vu son gain, son succès, sa valorisation possible.
Maya :
- C’est bon que des abcès éclatent. Mais après, ou pendant, que nous on embraye par l’écriture, ou par l’image, je ne vois plus de logique ! C’est presque hashtag-Balance-ton-porc et prend sa place ! Trop grave.
- C’est malheureusement ce qui fait recette. La boucle est bouclée parce que le public, le gros du public en redemande.
Mais je repense à tes attouchements nocturnes. Une amie d’origine africaine m’en a parlé. Ils appellent cela des « maris de nuit ». Ce seraient des esprits, impudiques, qui se sont acquis des droits jusqu’à pouvoir s’imposer aux corps de cette manière-là. Elle les appelle des incubes ou démons. - Arrête, tu me fais peur ! Mais je ressens bien ça ; c’est ni du rêve ni de la réalité… normale. Dans quel monde on vit ! Il faudrait bien qu’on en sache un peu mieux !
- Il faudrait !… Allez, tu prends quoi, je vais chercher à boire ?
- Une menthe-Vichy ou Perrier-citron. Et j’espère qu’ils ont des glaçons.
(Maya s’évente avec un programme). - Ne te plains pas, l’été ne commence que demain. Je reviens…
Maya au retour d’Ingrid :
- Je réalisais comment on peut mettre un talent fou au service de n’importe quoi. Je me disais : Jusqu’à confondre toutes les crudités ! De la salade composée servie en entrée à une partouze avec des gamines qu’on s’offre en dessert. Qécrivant l’une comme l’autre avec flegme et minutie, pour faire saliver ou donner à bouffer à d’autres qui n’en ont pas les moyens. Berrrk !
- Certains appellent cela sociologie ; une peinture de la misère affective et sexuelle de l'homme occidental.
- C'est ça, du Zola ! Sauf qu'au lieu d’écrire pour dénoncer, là on fait l’apologie du vice, des turpitudes. Et encore, de mecs obsédés ou frustrés voulant s’exorciser comme tu dis, peut-être ; mais pas de féministes aujourd’hui !
- C’est une autre misère.
- Une vraie misère !
- Je comprends que tu aies atteint un seuil critique de déceptions, où on peut se mettre à haïr ce qu'on a aimé ; peut-être trop, ou mal aimé.
C’est difficile l’amour et la liberté ensemble. Parce que c’est à l’amour qu’on doit choisir de donner la priorité. En respectant les sentiments et la personne de l’autre, avant soi si nécessaire. - Moi, après Ludo – un autre pervers narcissique de première ! –, j’ai définitivement renoncé à y croire et à espérer. Du coup la tension est tombée, et j'apprécie tu peux pas savoir !
T'imagine, après plus d'une année de scènes, de conflits, ô que c'est bon de se retrouver seule ! De me remettre à dormir sans somnifère. - Pourtant je te trouve les traits bien tirés.
- En quelque sorte j'ai fait mon deuil. C'est que j’ai pas trop pris de temps pour me maquiller ce matin. Pour qui, pour quoi ?
- Pour toi ! Tu as l’air très fatiguée quand même. Tu n’es pas malade ?
- C’est le boulot. Toujours plus avec le moins, tu connais. Tu n’as plus le temps de vivre. Et puis vivre… Parfois il vaudrait mieux être vraiment malade, au moins tu saurais à quoi tu as à t’occuper d'important.
(Elle se défait du chewing-gum). - Mais tu as bien une fille ! Tu ne la vois pas trop peut-être ? Elle a quel âge maintenant ?
- Elle a définitivement préféré son père. A 13 ans tu n’en fais plus ce que tu veux ! D’ailleurs je n’ai jamais voulu en faire quoi que ce soit. Il voulait un garçon, et raté, comme chez Nougaro. Et il en est devenu toqué. Et moi j’ai juste été hyper-égoïste avec elle…
Mais on ne nous apprend pas la vie à l’école ; pas même à l’université. Les bonnes priorités. Ou la valeur des petits bonheurs.
Bref j'ai bien un peu cogité, laissant couler de l'eau sous le Pont des Soupirs. Et je me trouve bien mieux. (Elle sort un paquet de cigarettes, doigts légèrement tremblants).
Mais c’est absurde aussi la solitude. - Fais quand même attention Maya, tu sens la déprime. Un burn out peut-être.
- Je sais… Mais à part faire une psychothérapie que j’ai déjà faite, pour m'entendre dire qu'il faut que je sorte, que je m'amuse, alors que je n'ai toujours fait que ça.
Et chaque fois j'en pouvais plus, et du mal-être et du vide qu'il en reste, après.
Avec les mots des larmes étaient montées. Sans couler mais bien réelles, rendant les yeux brillants, comme parfois dans un état fiévreux.
Une oasis de silence s’installe entre les deux femmes au cœur du brouhaha des allées et venues. Le bar (à la diagonale de leurs places) est pris d'assaut, mais la somme des voix reste feutrée, comme d'un autre et lointain univers.
à suivre, demain...
Published by Claude Thé, humanité et spiritualité
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